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Pierre Pimpie - 40 milliards d’effort fiscal demandé aux Français : Commençons d’abord par traquer les vrais fraudeurs !

Alors que d'aucuns réitèrent une myriade de petites mesures destinées à rogner le modèle social français et à accroître encore le niveau des prélèvements obligatoires pour renflouer les caisses publiques, allant jusqu'à proposer à leurs concitoyens de travailler un jour par an bénévolement au nom de la solidarité nationale, il se peut que le débat ait fait l'impasse sur les vertus d'une lutte contre les fraudes orientée vers des cibles stratégiques et potentiellement juteuses.


Certes, l'État est d'ores et déjà implacable contre la fraude fiscale des gens ordinaires et des petites entreprises et il s'en vante. Ainsi, il a recouvré 14,6 milliards d'euros en 2023 sur ce registre, preuve qu'il sait être efficace quand il s'en donne les moyens. Mais il peine à sortir du déni sur la fraude sociale, probablement pour des raisons idéologiques : la fraude fiscale serait une fraude de riches, la fraude sociale une fraude de pauvres, et il serait malséant d'accabler les seconds. Pourtant, ce sont bien les classes moyennes qui font les frais du zèle des services fiscaux ; quant aux fraudes sociales, elles peuvent être organisées à grande échelle, profiter à des individus nullement dans le besoin et rendre caduque, in fine, notre contrat social.


En septembre dernier, le Haut conseil pour le financement de la protection sociale a timidement évalué la fraude sociale à 13 milliards d'euros - pour un recouvrement famélique de l'ordre de 600 millions d'euros. C'est déjà un progrès par rapport à la direction de la sécurité sociale qui balayait d'un revers de main l'idée même d'une fraude suffisante pour justifier les diligences de l'État. Notamment, la carte Vitale biométrique était jugée trop chère à mettre en place au regard de fraudes considérées comme résiduelles. Pourtant, l'expérience des « QR code » prêtés pendant la crise sanitaire pour se sustenter sans être vacciné avait bien montré les travers des identités non vérifiées et l'État avait su, sur ce sujet précis, se montrer autant soupçonneux qu'intraitable.


Mais il est un autre sujet qui passe sous les radars, c'est celui de la fraude fiscale non pas des petites gens faciles à rattraper, mais des grandes entreprises multinationales. Le dernier rapport de l'Observatoire européen de la fiscalité fournit l'ordre de grandeur : les multinationales déclaraient en 2022 quelques 1.000 milliards de dollars de profits dans les paradis fiscaux, sans que leur activité s'y trouve à due proportion. L'ennui est que les principaux récipiendaires de cet exode des profits sont européens : l'Irlande et les Pays-Bas concentrent ensemble 30% de cette manne rendue possible par les « prix de transfert ». Ce mécanisme permet de déplacer les profits d'une filiale à une autre au sein d'un même groupe moyennant des transactions parfois légales, souvent abusives. On se souvient de McKinsey qui, malgré la prospérité que lui garantissaient les commandes de l'État, ne payait pas d'impôt sur les sociétés (IS) en France, en localisant ses profits au Delaware, véritable paradis fiscal. La facturation entre filiales permet les transferts d'argent justifiés (quote-part des frais de siège, usage de la marque...) ou factices (surfacturation). De facto, le CEPII estimait en 2019 que 36 milliards d'euros de profits avaient été soustraits de l'assiette de l'IS en France en 2015, soit une perte de recettes fiscales de 14 milliards. Depuis près de 10 ans, les techniques d'évitement de l'IS se sont bien sûr perfectionnées et le manque à gagner pour le Trésor public serait bien plus élevé.


L'Union européenne doit permettre de lutter contre les fraudes sociales, fiscales et économiques, qu'il s'agisse du travail détaché, de la TVA et du commerce en ligne ou encore des normes. Pour réglementer les prix de transfert, il y a eu un projet de directive présenté par la Commission en septembre 2023 mais le texte est actuellement bloqué en raison du manque d'appétence de certains États - on devinera aisément lesquels.


Au final, l'État gagnerait à se montrer fort avec les forts et sévères à l'endroit de ceux qui vivent de prestations indues, via de fausses déclarations. Le modèle social français ne restera généreux qu'à la condition d'être exigeant. Également, si le cadre européen ne permet pas de corriger les abus manifestes, il appartiendra à la France de procéder à une réglementation unilatérale car, face à l'impôt, ce n'est pas à l'honnête citoyen de se substituer aux grands groupes mondiaux.


Contribution pour Les Horaces de Pierre PIMPIE, Haut fonctionnaire, député français au Parlement européen.

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