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Gilles Lebreton - Pour un nouveau modèle agricole !

L'image est forte : mardi 19 novembre, une quarantaine d'agriculteurs est venue protester, avec un troupeau de brebis, aux portes d'une concession d'automobiles allemandes à Valence. Façon spectaculaire de signifier que l'agriculture doit cesser d'être une variable d'ajustement, que la Commission européenne sacrifie systématiquement, dans chaque nouveau traité de libre-échange, dont celui avec le Mercosur, pour favoriser l'exportation de produits industriels, notamment d'automobiles allemandes.


La révolte des agriculteurs est légitime. À l'origine, la Politique agricole commune (PAC) avait été conçue comme résolument protectionniste, avec l'institution de "prix garantis" pour les agriculteurs européens et la mise en place de droits de douane élevés pour protéger leur production contre la concurrence extra-communautaire. Mais la réforme Mac Sharry de 1992 a rompu avec cette philosophie, choisissant d'ouvrir nos marchés agricoles au libre-échange mondialisé. Le traité avec le Mercosur est une conséquence logique de ce funeste ralliement à l'ultra-libéralisme.


Les agriculteurs en payent le prix fort : un revenu médian de 1500 euros par mois pour les éleveurs bovins, ovins et caprins d'après l'INSEE, plus de 2400 tentatives de suicide par an et près de deux suicides par jour selon les chiffres de la Mutuelle Sociale Agricole. Face au cynisme de la Commission, illustré par les terribles propos tenus par le commissaire Phil Hogan en 2019 au sujet des traités de libre-échange - "on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs" - leur révolte traduit la volonté de toute une profession de se battre pour sa survie.


Au-delà de la légitime défense de leurs intérêts catégoriels, le problème qu'ils soulèvent est un enjeu de civilisation. La France a historiquement été un peuple de paysans : sacrifier l'agriculture aux lubies mondialistes de la Commission, c'est renier son passé et rompre la continuité avec l'avenir que Renan jugeait nécessaire à la conscience d'appartenir à une communauté de destin et de "faire nation". Les agriculteurs ont puissamment contribué à forger nos paysages, notre mode de vie, notre manière de penser : il est inconcevable de sacrifier de tels acquis immatériels sur l'autel du libre-échange le plus mercantile !


Un autre enjeu de cette crise agricole est celui de notre sécurité alimentaire. La France aime à se présenter comme la première puissance agricole d'Europe ; pourtant, dans bien des domaines, elle ne parvient plus à produire sa propre alimentation. C'est ainsi que d'après un rapport publié le 3 septembre 2024 par la Cour des comptes, un poulet consommé sur deux est importé. La situation n'est guère meilleure pour les autres filières d'élevage, notamment pour l'élevage bovin. Cette situation est due en grande partie à l'incohérence de l'Union européenne qui exonère, dans les accords commerciaux qu'elle signe, les éleveurs extra-européens du respect des normes sanitaires et environnementales de plus en plus exigeantes qu'elle impose aux éleveurs européens. Au risque de l'insécurité alimentaire, qui place l'approvisionnement de la France sous la dépendance de pays étrangers, s'ajoute ainsi un danger pour la santé des consommateurs, invités à manger de la viande produite avec des traitements interdits dans l'Union. Ces graves inconvénients ne sont même pas compensés par l'amélioration du respect de l'environnement : bien au contraire, l'alimentation que nous importons de l'autre bout du monde a moins de vertu écologique que celle que nous produisons en France, dans la mesure où elle est issue, comme au Brésil, de la déforestation et qu'elle parcourt des dizaines de milliers de kilomètres avant de terminer dans nos assiettes.


Ce sombre panorama n'est pas une fatalité mais le résultat d'un choix politique. C'est ce choix qu'il faut changer radicalement si on veut résoudre la crise agricole, plutôt que de se contenter d'égrener des mesures d'urgence, comparables à des cautères sur une jambe de bois, comme l'a fait le plan Attal en janvier dernier. Il faut contraindre l'Union européenne à revenir à l'esprit initial de la PAC, qui privilégiait la sécurité alimentaire plutôt que le libre-échange. Cela implique au minimum d'imposer des clauses miroir pour l'importation des produits agricoles ou, si l'on n'y arrive pas, à sortir l'agriculture des traités de libre-échange. Cela implique aussi et surtout, dans une vision plus globale, de substituer au mondialisme de la Commission, favorable à l'expansion sans limites d'une agro-industrie hyper intensive, le modèle d'une agriculture raisonnée et "localiste", privilégiant le développement des circuits courts, donc des productions française et européenne, dans l'intérêt bien compris de nos agriculteurs et des consommateurs, ainsi que dans le respect de l'environnement et de notre sécurité alimentaire.


Contribution pour Les Horaces de Gilles LEBRETON, professeur de droit public, ancien député français au Parlement européen, spécialiste de l'agriculture.

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